6h40, le réveil sonne. Patricia se lève tant bien que mal pour passer sous la douche et se préparer en vitesse. Pas de temps à perdre, son passage de 15 minutes dans la salle de bain lui a permis de définir l’ordre de ses nombreuses priorités ainsi que ses objectifs de travail du jour, parié sur le nombre de mails reçus depuis la veille au soir (une cinquantaine minimum) et d’anticiper le déroulé de la réunion qu’elle va animer à 9h. Heureusement, elle excelle dans l’organisation et tout est anticipé, même les hypothèses négatives les plus improbables. Vite, le petit déjeuner doit être prêt pour ses enfants et son conjoint afin que chacun puisse partir dans les temps.
Une fois tout le monde parti, Patricia dispose de 3 minutes pour ses derniers préparatifs avant de s’en aller. Le silence étant revenu dans la maison, elle ne peut plus occulter cette boule qui tenaille son ventre. Sa gorge serrée. Ses machoires contractées. La tension dans ses épaules. Un grand brouillard s’installe dans sa tête, elle sait qu’elle avait une chose primordiale à faire aujourd’hui, mais elle ne sait plus quoi.
D’ailleurs, elle ne comprend pas davantage la raison pour laquelle elle continue à exercer son métier, elle n’en voit plus le sens. Elle ne retient que les consignes contradictoires, et sa charge de travail telle un puit sans fond. Sans compter les multiples échanges avec les clients, qu’elle ne peut s’enpêcher de vivre comme des agressions. Quoi que maintenant, réalise-t-elle, elle ne ressent plus rien. Leur détresse ne leur fait plus ni chaud ni froid, de même que leurs sincères remerciements. Il est 7H30 du matin, et elle est déjà épuisée. Si seulement elle pouvait se téléporter sur une île déserte pour une durée illimitée…
Patricia monte dans sa voiture. À peine installée, elle ne se rappelle déjà plus si elle a bien fermé la porte de la maison à clé. Elle allume le moteur, ses mains tremblent, la panique s’empare d’elle jusqu’à ce qu’elle ait l’impression de ne plus pouvoir respirer. Sa main ne parviendra pas à passer la première vitesse et son pied à appuyer sur la pédale d’accélérateur.
Incapable de ralentir le rythme depuis plusieurs mois, malgré quelques remarques de son entourage, la détérioration de son humeur en dents de scie, son intolérance au moindre bruit et à la moindre frustration, l’apparition de douleurs physiques, elle souffre en silence. Elle se noie en ayant l’impression que personne ne la voit couler. Elle n’a pas le temps de ralentir, elle doit tout gérer et réussir sa vie professionnelle, personnelle et sociale. Mais elle ne s’arrêtera pas, c’est une femme forte. C’est ce que tout le monde dit d’elle, c’est comme ça qu’elle doit être. Promis, elle s’arrêtera quand elle aura un genou à terre. Pas avant.
Trop tard, sa situation s’est rappelée à elle, elle ne peut plus l’ignorer. Ce que Patricia n’a pas pu ou su voir, c’est que ses deux genoux sont à terre depuis déjà un long moment. Trop long. Elle n’a pas su ralentir, incapable d’envisager une telle catastrophe, quitte à se couper de tous ses besoins et dégrader sa santé tant physique que mentale. Elle est en burn out.
Le burn out, c’est quoi ?
Le burn out, ou syndrôme d’épuisement professionnel en français, se définit comme « un épuisement physique, émotionnel et mental qui résultent d’un investissement prolongé dans des situations de travail exigeantes sur le plan émotionnel »¹.
On dénombre un grand nombre de symptômes pouvant constituer un burn out. C’est la raison pour laquelle on parle de syndrôme et non de maladie. Toutefois, il est important qu’il soit identifié et pris en charge le plus rapidement possible. À défaut, il pourrait déboucher sur une dépression ou une maladie somatique.
Si la notion de burn out ne s’applique initialement qu’au contexte professionnel, on le retrouve désormais le terme employé pour d’autres chapitres de vie, comme le burn out parental. Ce sujet fait débat.
De la même manière, il peut être aisé de confondre le burn out avec l’épuisement émotionnel, la fatigue chronique, le stress au travail ou la dépression. Il est donc nécessaire de faire établir un diagnostic par un professionnel de la santé. Le questionnaire le plus largement utilisé et reconnu est le Maslach Burnout Inventory (MBI), créé par Maslach et Jackson en 1981.
Il peut être scindé en 4 stades² (selon le degré de gravité du burn out), progressifs dans l’intensité et/ou la multiplication de symptômes. Ainsi, une identification du premier stade permettra la prévention du burn out, alors qu’au quatrième stade, il faudra le traiter.
Quels sont les symptômes?
Ces symptômes peuvent varier d’un individu à l’autre, d’où parfois la difficulté d’identifier le burn out. Il est possible de les classer en différentes catégories :
- cognitifs tels que des oublis, trouble de la concentration, difficulté à prendre des décisions ou à mener un raisonnement logique, apparition d’erreurs/fautes même chez les plus perfectionnistes…
- émotionnels tels que des variations d’humeur, voir la vie avec un « filtre gris », irritabilité, hypersensibilité, perte de patience, tensions nerveuses, angoisse, baisse de l’estime de soi… Cela peut aussi aller jusqu’à l’incapactié temporaire à ressentir les émotions.
- physiques tels que les tensions musculaires (principalement localisées dans la nuque et le dos), céphalées de tensions (maux de tête), vertiges, contraction de la mâchoire, fatigue chronique, troubles du sommeil, prise/perte de poids …
- comportementaux tels qu’une surexposition suivi d’un isolement, intolérance à la frustration, irritabilité jusqu’à la violence, baisse de l’empathie, cynisme, hostilité, déshumanisation pouvant entrainer de grandes difficultés relationnelles sur son lieu de travail. Peuvent également apparaitre des comportements relevant de l’addiction (tabac, alcool, médicaments…). Enfin, on peut constater une dévalorisation de ses compétences, une baisse de sa motivation au travail après une période au contraire d’une surprésence et implicatio (burn in), la perte de sens, le sentiment d’être pris au piège…
Cette liste n’est pas exhaustive, elle est donnée à titre indicatif. Néanmoins, elle répertorie les symptômes les plus fréquemment rencontrés. Si plusieurs d’entre eux font écho chez vous, n’hésitez pas à en parler dès à présent.
Quels sont les « profils » les plus concernés ?
D’un point de vu socio-professionnel, il existe des facteurs favorisant les situations de burn out³. Cela concerne principalement des postes :
- à responsabilité
- à forte charge de travail (temps, intensité et organisation)
- avec une grande implication émotionnelle
- où les personnes rencontrent des conflits de valeur avec leur entreprise
- disposent de peu de marge de manoeuvre dans leur travail
- font face à des relations interpersonnelles difficiles à vivre (conflits, manque de reconnaissance, absence de soutien de la hiérarchie…)
- sont parfois soumis à des risques psycho-sociaux (violence au travail, harcèlement moral…)
- peuvent aussi se sentir en insécurité (crainte de la perte d’emploi, précarité professionnelle).
Le burn out touche tant les salariés que les libéraux ou les entrepreneurs, les femmes et les hommes, ou encore tous les secteurs d’activité. Les soignants font partie des populations particulièrement à risque. Les environnements familiaux et sociaux peuvent constituer des facteurs aggravants.
Prendre en compte uniquement ces facteurs socio-professionnels serait réducteur. Il est très important de tenir également compte des profils psychologiques individuels. Certaines personnalités peuvent être plus enclines à développer ce syndrôme d’épuisement professionnel, comme :
- les hyper-consciencieux, hyper-organisés et perfectionnistes qui ressentent le besoin d’aller dans le détail, la précision, qui sont très méticuleux afin que tout soit « parfait » et « sous contrôle ». Rien n’est laissé au hasard.
- les personnes très engagées, et qui ont une relation au travail très forte quitte à faire passer au second plan (parfois malgré elles) les autres aspects de leur vie.
- les personnes ayant un manque d’estime d’elles, qui vont chercher dans leur implication au travail à combler un besoin de reconnaissance, à se prouver qu’elles peuvent réussir, vont chercher un regard de l’Autre positif et valorisant.
- Les personnes sujettes au stress et à l’anxiété
Un autre élément important est la relation à son entourage. Il peut être difficile de communiquer sur ce sujet et les inquiétudes qu’il suscite. Dans un premier temps, parce qu’il faut parvenir à admettre la situation, à accepter que l’on puisse avoir besoin d’aide. Ensuite, parce qu’il peut venir ébranler la structure familiale. La relation à l’entourage peut ainsi être un sujet sensible :
- Avec le souci des répercussions que cela pourrait avoir sur lui. Parce que l’on craint de voir dans son regard un jugement de faiblesse, un aveu d’échec, de la déception, la honte… Dans la très large majorité des cas, nous projetons sur lui nos propres peurs, notre propre regard. Nous voulons autant le protéger que nous voulons nous protéger de lui.
- Parce que certains ont appelé ou ont eu l’impression d’appeler à l’aide sans trouver l’écoute et la compréhension nécessaire. Cela peut alors être vécu comme un manque de considération de l’épreuve que traversée. Car non, malheureusement, une bonne nuit de repos ne sera pas suffisante.
Et maintenant, que faire ?
Si vous vous reconnaissez dans ces symptômes et situations, n’hésitez pas à en parler dès à présent. Vous pouvez prendre contact avec votre médecin traitant qui pourra vous prescrire un arrêt de travail, souvent nécessaire. Le médecin du travail fait également partie des acteurs à mobiliser dans le cadre d’un burn out, de même éventuellement qu’un psychiatre.
Les traitements médicamenteux ne sont pas systématiques. Il est également très fortement recommandé de prendre en charge vos symptômes par un accompagnement psychothérapeutique et/ou psychocorporel.
Conjointement à votre suivi avec un professionnel de la santé, nous pourrons travailler ensemble en douceur et à votre rythme sur la mise en lumière et la compréhension de vos mécanismes psychologiques, sur le regard que vous vous portez, sur votre reconnexion à vos besoins et envies, sur l’identification des éléments de votre équilibre et sur votre reconstruction. Vous cheminerez vers un réel mieux-être.
La période de convalescence et de reconstruction jusqu’à la disparition de l’ensemble des symptômes peut être plus ou moins longue d’une personne à l’autre. Il n’y a aucun schéma établi, aussi aucune comparaison ne saurait être bénéfique.
Si un burn out est une période de vie particulièrement difficile à traverser, bien accompagnée elle peut être l’origine de nouvelles opportunités, et d’un alignement tant personnel que professionnel.
Perrine Coury
¹ WB Shaufeli and ER Greenglass – Introduction to special issue on burn out and health
² Michel Delbrouck – Comment traiter le burn out ?
³ Haute Autorité de la Santé